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L'album
Celui de ma famille, Gisèle, il est rangé dans un placard, chez mes parents, et il y a longtemps que je ne l'ai pas ouvert. Il est en simili cuir vert bouteille. Je pense que j'irai y jeter un coup d’œil la prochaine fois que je serai en Touraine. Je me demande comment celui de tes auto-portraits s'est retrouvé en ta possession. Moi, j'ai l'impression que, si un jour, on a l'album chez nous, ma sœur ou moi, (d'ailleurs, il faudra choisir. : qui en sera dépositaire ? Est-ce que j'ai un droit d'aînesse là-dessus ? A moins qu'on en alterne la garde :une semaine sur deux, un an sur deux ?), c'est que mes parents seront morts. Et ça, je préfère ne pas y penser trop souvent. En tout cas, cet album, même si il est forcément un peu ma mémoire, je considère que c'est l'histoire de mes parents qu'il raconte.
À l'adolescence, j'en ai commencé un qui est resté dans ma chambre, chez eux aussi. J'y ai vécu les scènes qui sont figées à l'intérieur mais ça ne m'intéresse plus. Ces deux albums, je les montrerai à mes enfants s'ils le réclament un jour. Dans une vieille boîte de jeu de loto, il y a plein d'autres photos dans le placard chez mes parents, des photos de réunions de famille avec mes oncles, mes tantes, tous heureux. Je pense que mes parents m'ont beaucoup protégée mais j'ai grandi dans cette image-là, de convivialité, de patois, de grossièreté aussi, de campagne, d'égorgement de cochon, de conflits artisans contre fonctionnaires. Quand il y avait à manger pour quinze, c'est qu'il y en avait pour vingt, chez la mère de ma mère. Seulement, voilà, Paulette a plus de quatre-vingt dix ans aujourd'hui. Ma tante qui l'a emmenée avec elle vivre dans le Jura pète un plomb. Elle ne peut plus s'en occuper. Il faudrait la laver (Paulette ne peut plus le faire seule). Et ça, elle ne le veut pas et tout le monde (ses frères et sœurs) le comprend. Il lui faut de l'aide. Seulement voilà, pas d'étrangers dans sa maison, pas de noirs ou d'arabes chez ma tante ! C'est dur d'avouer aussi crûment qu'on est raciste, d'où le pétage de plomb (et sans doute aussi la tristesse de voir sa mère partir doucement) ! D'après ma mère, ma grand-mère, Paulette, va finir par être hospitalisée un jour proche et c'est là qu'elle mourra. Pour l'instant, Paulette, pas encore complètement folle, résiste et refuse de dire quand elle a mal. Elle a réussi à éviter la maison de retraite, pas question qu'elle finisse à l'hôpital. C'est pourtant comme ça que ça va finir. Apparemment ses jours sont comptés. Une fête de famille est prévue le 15 août dans le Jura chez mon oncle et ma tante. Ma sœur y va avec sa famille, elle dit qu'elle veut « voir mémé une dernière fois ». J'y suis allée, moi aussi à l'occasion. Mais pas cette fois. Je décide de ne plus faire semblant d'être contente de voir des gens dont l'image (assez heureuse d'ailleurs) appartient au passé. Je décide de ne pas aller dormir chez des gens qui votent Front National. Je décide de ne pas aller « voir mémé une dernière fois ».
Je regarderai l'album et les photos de la boîte de loto. Mais je pleure.
Sylvie Vandier
Gisèle Didi
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